Ton trou du cul est révolutionnaire !

Etudions Gayment va te laver la bouche avec du savon : dans la série « watch your mouth », aujourd᾽hui une pratique sexuelle qui fait du bien par où ça passe, une insulte qui fait mal et qui tabasse…

PARLE A MON CUL, MA LANGUE EST MALADE : POLITIQUES DE LA TRADUCTION CULTURELLE

Vous avez remaqué comme les traductions de films en vo sont chelou des fois ? En particulier quand il s᾽agit le langage « vulgaire » ou d᾽insultes… Mais ya un truc qui revient sans cesse : l᾽insulte la plus forte est souvent traduite par « enculé ». Pour un film ricain, un « motherfucker » par exemple devient souvent un « enculé »[1] : bon ok, « mofo » c᾽est pas non plus très sympa pour ta daronne, mais c᾽est quoi le rapport avec « enculé » ? Les traducteurs se foulent pas trop : quand ils voient un personnage qui a l᾽air vraiment super vénér et qui balance 50 fuck dans une phrase, ils mettent ce qu᾽ils ont de plus balèze dans leur cahier des charges. Il y aurait donc des insultes plus fortes que d᾽autres en n᾽importe quelle circonstance, « enculé » étant en quelque sorte l᾽insulte suprême en français… La valeur hyper-insultante d᾽« enculé » se vérifie aussi dans la réalité : traiter quelqu᾽un d᾽enculé est une des solutions les plus rapides pour se prendre une pêche ou se faire embrouiller. Mais pourquoi cette insulte et pas une autre ? Qu᾽est-ce qui est véhiculé par ce mot ?

« ALORS LES PÉDÉS, ON S᾽ENCULE ? »

Vous avez déjà entendu une fille se faire traiter d᾽« enculée » ? La plupart du temps « enculé » est une insulte qui s᾽adresse à quelqu᾽un que l᾽on pense être un homme avec ses supposés attributs naturels : virilité, force, pilosité… activité. Ce qui pose problème dans cette sodomie verbale est donc peut-être moins l᾽acte en soi que la position que l᾽on y occupe : un « enculé » c᾽est donc quelqu᾽un qui n᾽est pas à sa place, qui ne remplit pas sa fonction prétendument naturelle : c᾽est un homme qui se fait prendre. On peut dire « je t᾽encule » mais pas « encule moi ». Par ce trou là, un seul sens est valable, ta maman te l᾽a jamais dit ? De même, pour cette pratique, une seule position est valable socialement : celle de l᾽enculeur, pas de l᾽enculé. Mieux vaut être pédéraste que giton, aujourd᾽hui encore… En étant enculeur on reste un homme et l᾽on peut continuer à faire partie de cette frange de l᾽humanité qui a du pouvoir sur les autres, les passifVEs (les femmes et les enculés / les pédés). Cette haine de la « passivité » ressurgit dans les discours les plus courant : « on se fait baiser par le patronat », « s᾽il a réussi c᾽est parce qu᾽il suce », « on s᾽est trop fait enculer sur ce coup »… Le terme même de passivité et les connotations qu᾽il véhicule seraient d᾽ailleurs intéressants à prendre en compte : comme si prendre un truc dans le cul, la chatte, la bouche…, « se faire baiser », c᾽était ne rien faire…

« Enculé » est donc porteur d᾽une double stigmatisation dans la bouche de ceux qui l᾽emploient : pédé et passif. Ah bon, je savais pas qu᾽il y avait que les pédés qui avaient un trou du cul… Nous sommes potentiellement touTEs des enculéEs puisque le trou du cul est quand meme la chose la mieux partagée au monde… En outre, la sodomie n᾽est pas nécessairement le seul acte sexuel disponible dans la panoplie de la baise pédé : pourquoi se focaliser sur ce tout petit trou de rien du tout ? Ca vous travaille ou quoi ?

QUAND DIRE C᾽EST FAIRE : HOW TO DO THINGS WITH WORDS…

L᾽homophobie véhiculée par cette insulte semble fonctionner sur un des ressorts classiques de la discrimination : le déni, le refoulement. On observe le même genre de phénomène linguistique étrange dans l᾽expression américaine « no homo » : ces deux petits mots semblent fonctionner comme une dénégation : pourquoi avoir constamment besoin de réaffirmer que l᾽on est straight ? a-t-on si peur d᾽être pris pour un « homo » (de parler ou d᾽agir comme tel) qu᾽on se sent obligé de dire qu᾽on est hétéro ? Hey, pas de panique chériE, reste tranquille… Peut-être que ces expressions sont une conséquence perverse de l᾽homosocialité linguistique, un langage masculin faits par et pour des hommes qui frôle constamment la partouze verbale. Et que dire si l᾽on prend en compte la dimension performative du langage[2] : répondre « moi je t᾽encule » à quelqu᾽un qui te traite d᾽« enculé » finit par ressembler furieusement à une partie de baise… Rajouter « no homo » après une phrase ou traiter quelqu᾽un d᾽enculé serait en quelque sorte le rempart linguistique à cette contagion homosexuelle qui pourrait avoir lieu par le langage : le virus queer se heurterait à cette digue de la mise à distance (dénégation ou discrimination). « Je ne veux pas être pédé du cul, ni de la bouche ».

Cette paranoïa ressemble furieusement à celle repérée par Judith Butler[3] dans la politique du « don᾽t ask, don᾽t tell » dans l᾽armée américaine : dans ce milieu fortement homosocial et homoérotique qu᾽est l᾽armée, il est interdit d᾽être officiellement out. Une pratique comme le coming out y est vue comme un danger pour l᾽hétérosexualité censée régir une institution comme l᾽armée : le mot y est considéré comme une substance contagieuse, une maladie (l᾽association homophobe pédé – sida n᾽étant évidemment jamais bien loin…).

SHUT UP AND OPEN UP : HOW TO DO THINGS WITH YOUR ASS

Finalement, ce qui est vicieux avec ce type d᾽insulte qui sont passées dans le langage courant, c᾽est que l᾽on a plus conscience des discriminations dont elles sont le vecteur : il n᾽est pas rare d᾽entendre des pédés employer l᾽insulte « enculé » au premier degré, c᾽est-à-dire sans être conscient de reconduire des mécanismes homophobes. C᾽est d᾽autant plus vicieux que la réitération de l᾽insulte est souvent une réactualisation et une légitimation de ces processus discriminatoires. Ce ne sont pas simplement des querelles de mots : la façon dont nous parlons, les mots que nous employons sont des outils conceptuels, c᾽est-à-dire qu᾽ils participent d᾽un système de pensée et croire que le langage et la pensée sont déconnectés du réel est une illusion. Mais si ces mots, ces expressions nous blessent, nous ne sommes pas obligéEs de subir leur violence systématiquement : dans toute répétition de l᾽insulte il est possible d᾽introduire une différence, de subvertir ce qui nous est imposé et de faire ce que nous les pervers savons si bien faire : pervertir, dévier. Inventer un langage de torduEs où « va te faire enculer » n᾽est pas une insulte mais une sucrerie linguistique, une petite douceur que l᾽on dit à unE amiE. Alors va te faire enculer car comme on dit par chez moi, la sodomie ouvre l᾽esprit… Et ptet que ça te fermera ton clapet…

The Spalding

Enculades et galipettes n°20, le magazine des pouffes féministes d’Etudions Gayment, 2007-2008

[Notes manquantes]